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Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord
Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord

Biographie

  • Date de naissance : 2 février 1754
  • Lieu de naissance : Paris (France)
  • Date de décès : 17 mai 1838 (à 84 ans)
  • Lieu de décès : Paris (France)
  • Nationalité : Française
  • Parti politique : Indépendant
  • Profession : Diplomate
Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, communément nommé Talleyrand, est un homme d'État et diplomate français, né le 2 février 1754 à Paris et mort le 17 mai 1838 dans cette même ville.


Issu d'une famille de la haute noblesse, souffrant d'un pied bot, il est orienté par sa famille vers la carrière ecclésiastique en vue de lui permettre de succéder à son oncle, l'archevêque de Reims : ordonné prêtre en 1779, il est nommé en 1788 évêque d'Autun. Il renonce à la prêtrise et quitte le clergé pendant la Révolution pour mener une vie laïque.


Talleyrand occupe des postes de pouvoir politique durant la majeure partie de sa vie et sous la plupart des régimes successifs que la France connaît à l'époque : il est notamment agent général du clergé (1780), puis député aux États généraux sous l'Ancien Régime, président de l'Assemblée nationale et ambassadeur pendant la Révolution française, ministre des Relations extérieures sous le Directoire, le Consulat puis sous le Premier Empire, président du gouvernement provisoire, ambassadeur, ministre des Affaires étrangères et président du Conseil des ministres sous la Restauration, ambassadeur sous la Monarchie de Juillet. Il assiste aux couronnements de Louis XVI (1775), Napoléon Ier (1804) et Charles X (1825).


Il intervient fréquemment dans les questions économiques et financières, pour lesquelles son acte le plus fameux est la proposition de nationalisation des biens du clergé. Toutefois, sa renommée provient surtout de sa carrière diplomatique exceptionnelle, dont l'apogée est le congrès de Vienne. Homme des Lumières, libéral convaincu, tant du point de vue politique et institutionnel que social et économique, Talleyrand théorise et cherche à appliquer un « équilibre européen » entre les grandes puissances.


Réputé pour sa conversation, son esprit et son intelligence, il mène une vie entre l'Ancien Régime et le XIXe siècle. Surnommé le « diable boiteux » et décrit comme un traître cynique plein de vices et de corruption ou au contraire comme un dirigeant pragmatique et visionnaire, soucieux d'harmonie et de raison, admiré ou détesté par ses contemporains, il suscite de nombreuses études historiques et artistiques.


Origine et jeunesse

Le père de Charles-Maurice, Charles-Daniel de Talleyrand-Périgord (1734-1788), chevalier de Saint-Michel en 1776, lieutenant général en 1784, appartient à une branche cadette de la maison de Talleyrand-Périgord, famille de haute noblesse, même si sa filiation avec les comtes de Périgord est contestée. Il vit à la cour de Versailles, désargenté, avec sa femme née Alexandrine de Damas d'Antigny (1728-1809). Talleyrand a surtout pour oncle Alexandre-Angélique de Talleyrand-Périgord (1736-1821), archevêque de Reims, puis cardinal et archevêque de Paris. Il compte parmi ses ancêtres notamment Jean-Baptiste Colbert et Étienne Marcel.


Né le 2 février 1754 au numéro 4 de la rue Garancière à Paris, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord est baptisé le jour même.


Avant la parution de ses mémoires, plusieurs versions circulent déjà sur l'enfance de Talleyrand, en particulier sur l'origine de son pied bot. Depuis leur divulgation en 1889, ces mémoires sont la source d'informations la plus exploitée sur cette partie de sa vie ; la version donnée par Talleyrand est cependant contestée par une partie des historiens.


Selon la version donnée par ses mémoires, il est immédiatement remis à une nourrice qui le garde quatre ans chez elle dans le faubourg Saint-Jacques, ce qui n'est pas le cas de ses frères. Toujours selon l'intéressé, il serait tombé d'une commode à l'âge de quatre ans, d'où son pied bot : cette infirmité lui vaut de ne pas pouvoir accéder aux fonctions militaires et d'être destitué de son droit d'aînesse par ses parents qui le destinent alors à une carrière ecclésiastique. Son frère cadet, Archambaud, prend sa place (l'aîné des fils étant mort en bas âge).

Selon Franz Blei, dans ses mémoires, Talleyrand « évoque ses parents avec une surprenante antipathie » :

« Cet accident a influé sur tout le reste de ma vie ; c'est lui qui, ayant persuadé à mes parents que je ne pouvais être militaire, ou du moins l'être sans désavantage, les a portés à me diriger vers une autre profession. Cela leur parut plus favorable à l'avancement de la famille. Car dans les grandes maisons, c'était la famille que l'on aimait, bien plus que les individus, et surtout que les jeunes individus que l'on ne connaissait pas encore. Je n'aime point m'arrêter sur cette idée… je la quitte. »

Une partie des biographes, comme Jean Orieux, donnent raison à Talleyrand, qui laisse entendre que ses parents ne l'aimaient pas, ne tolérant pas qu'il fût « simultanément pied bot et Talleyrand ». De leur côté, ses deux frères cadets, Archambaud (1762-1838) et Boson (1764-1830), se marient avec de riches héritières de la noblesse de finance.


Il séjourne de 1758 à 1761 chez sa bisaïeule et « femme délicieuse », Marie-Françoise de Mortemart de Rochechouart, au château de Chalais, période dont il garde un souvenir ému. Il est ensuite envoyé au collège d'Harcourt (futur lycée Saint-Louis) de 1762 à 1769, puis chez son oncle archevêque, où on l'incite à embrasser la carrière ecclésiastique ; il obtempère.


Cette version de son enfance est contestée par plusieurs biographes. Si Michel Poniatowski parle d'un pied-bot de naissance, Emmanuel de Waresquiel va plus loin et affirme que Talleyrand souffre d'une maladie héréditaire (un de ses oncles en étant affecté), le syndrome de Marfan. Toujours selon Emmanuel de Waresquiel, Talleyrand est devenu prêtre non pas à cause d'un manque d'affection de ses parents, mais de la volonté de le placer dans la succession du richissime et puissant archevêché de Reims promis à son oncle, perspective susceptible de vaincre ses réticences, son âge le plaçant comme le seul en mesure de le faire au sein de sa fratrie. Ainsi, Talleyrand n'aurait blâmé ses parents que dans le contexte de la rédaction de ses mémoires, où il devait faire apparaître sa prêtrise comme ayant été contrainte.


C'est ce qui amène Georges Lacour-Gayet à parler d'un « prétendu abandon ». Pour Franz Blei, s'il est exact qu'il « n'a pas eu de maison paternelle pleine de sécurité et d'affection », il se montre injuste envers sa mère, qui n'a fait que suivre les usages d'éducation de l'époque, avant la mode de l’Émile de Jean-Jacques Rousseau ; ses parents ont aussi des charges très prenantes à la cour.

Carrière ecclésiastique

Biographie

  • Naissance 2 février 1754
  • Paris (France)
  • Ordination sacerdotale 1779
  • Laïcisation 1802
  • Décès 17 mai 1838 (à 84 ans)
  • Paris (France)
  • Évêque de l'Église catholique


En 1770, âgé de seize ans, il entre au séminaire Saint-Sulpice, où, selon ses mémoires, il fait preuve de mauvaise humeur et se retranche dans la solitude.


Le 28 mai 1774, il reçoit les ordres mineurs. Le 22 septembre, il obtient un baccalauréat en théologie à la Sorbonne. Sa thèse est acquise grâce à sa naissance plutôt qu'à son travail : elle est rédigée au moins en partie par son directeur de thèse de la Sorbonne, Charles Mannay , et il obtient une dispense d'âge qui lui permet de la présenter à 20 ans au lieu des 22 requis. À 21 ans, le 1er avril 1775, il reçoit le sous-diaconat en l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, premier ordre majeur, en dépit de ses avertissements : « On me force à être ecclésiastique, on s'en repentira », fait-il savoir. Il bénéficie par la suite d'une dispense du diaconat. Peu après, le 3 mai, il devient chanoine de la cathédrale de Reims, puis, le 3 octobre, abbé commendataire de Saint-Denis de Reims, ce qui lui assure un revenu confortable.


Le 11 juin 1775, il assiste au sacre de Louis XVI, auquel participent son oncle comme coadjuteur de l'évêque consécrateur et son père comme otage de la Sainte Ampoule. Cette année-là, en dépit de son jeune âge, il est député du clergé ou premier ordre, et surtout promoteur de l'assemblée du clergé.


Toujours la même année, il s'inscrit à la Sorbonne et y obtient le 2 mars 1778 une licence en théologie. Le jeune licencié rend visite à Voltaire, qui le bénit devant l'assistance. La veille de son ordination, Auguste de Choiseul-Gouffier raconte l'avoir découvert prostré et en pleurs. Son ami insiste pour qu'il renonce mais Talleyrand lui répond : « Non, il est trop tard, il n'y a plus à reculer » ; cette anecdote serait une invention, d'après Emmanuel de Waresquiel. Il est ordonné prêtre le lendemain, 18 décembre 1779. Le surlendemain, il célèbre devant sa famille sa première messe, et son oncle le nomme vicaire général de l'évêché de Reims.


L'année suivante, au printemps 1780, il devient, toujours grâce à son oncle, agent général du clergé de France, charge qui l'amène à défendre les biens de l'Église face aux besoins d'argent de Louis XVI. Il fait ainsi accepter en 1782 un « don gratuit » au roi de plus de 15 millions de livres pour couper court aux menaces de confiscation venant de la couronne. Il intervient également dans la crise de la Caisse d'escompte de 1783 et doit gérer la colère du bas-clergé en maniant la carotte et le bâton. Tous ces travaux lui permettent de s'initier à la finance, aux affaires immobilières et à la diplomatie ; il prend connaissance de l'étendue de la richesse du clergé et noue de nombreuses relations parmi les hommes d'influence de l'époque. Élu secrétaire de l'Assemblée générale de 1785-1786, il est félicité par ses pairs à l'occasion de son rapport final.


Il fréquente et anime les salons libéraux proches des Orléans et noue de nombreuses relations dans ce milieu. Installé rue de Bellechasse, il a pour voisin Mirabeau : les deux hommes se lient d'amitié, de politique et d'affaires. Il est alors proche de Calonne, ministre impopulaire de Louis XVI ; il participe à la négociation du traité de commerce avec la Grande-Bretagne conclu en 1786. Il fait ainsi partie des rédacteurs du plan de Calonne pour réformer complètement les finances du royaume et qui reste à l'état de projet en raison de la crise financière et du départ du ministre.


Son statut d'ancien agent général du clergé doit en principe le propulser rapidement à l'épiscopat alors que croissent ses besoins d'argent ; pourtant, la nomination tarde à venir. L'explication généralement donnée par les historiens est sa vie dissolue, avec son goût pour le jeu, pour le luxe, et ses maîtresses, ce qui indispose Alexandre de Marbeuf, évêque d'Autun et responsable des nominations, et qui choque Louis XVI. Emmanuel de Waresquiel conteste cette analyse, expliquant cette attente par la notoriété de ses amitiés orléanistes hostiles au clan de la reine et par la perte d'influence de sa famille.


Le 2 novembre 1788, il est finalement nommé évêque d'Autun, grâce à la requête que son père mourant a adressée à Louis XVI. « Cela le corrigera », aurait déclaré le roi en signant la nomination. Le 3 décembre, il reçoit également le bénéfice de l'abbaye royale de Celles-sur-Belle. Il est sacré le 16 janvier 1789 par Louis-André de Grimaldi, évêque de Noyon. Ernest Renan raconte, parlant d’un de ses professeurs à Saint-Sulpice :
« M. Hugon avait servi d'acolyte au sacre de M. de Talleyrand à la chapelle d'Issy, en 1788. Il paraît que, pendant la cérémonie, la tenue de l'abbé de Périgord fut des plus inconvenantes. M. Hugon racontait qu'il s'accusa, le samedi suivant, en confession, « d'avoir formé des jugements téméraires sur la piété d'un saint évêque ». »

Après une campagne courte et efficace, il est élu le 2 avril député du clergé d'Autun aux états généraux de 1789. Le 12 avril au matin, un mois après être arrivé et esquivant la messe de Pâques, Talleyrand quitte définitivement Autun et rentre à Paris pour l'ouverture des états généraux, le 5 mai, qui marque le début de la Révolution française.

Révolution

Député de la Constituante

Peinture représentant le texte de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, surmonté à gauche d'une allégorie de la Monarchie, tenant les chaînes brisées de la Tyrannie ; à droite par le génie ailé de la Nation, tenant le sceptre du Pouvoir ; au centre par un ouroboros et par l'œil de la providence inséré dans une pyramide projetant des rayons lumineux.


Durant les états généraux, Talleyrand se rallie au tiers état le 26 juin, avec la majorité du clergé et la veille de l'invitation de Louis XVI à la réunion des ordres : ainsi qu'il l'écrit dans ses Mémoires, il est préférable de « céder avant d’y être contraint et quand on pouvait encore s’en faire un mérite. » Le 7 juillet, il demande la suppression des mandats impératifs ; le 14 juillet 1789 (renouvelé le 15 septembre), il est le premier membre nommé au comité de constitution de l'Assemblée nationale. Il est ainsi signataire de la Constitution présentée au roi et acceptée par celui-ci le 14 septembre 1791 et est l'auteur de l'article VI de la déclaration des droits de l'Homme, qui lui sert de préambule :


« La loi est l'expression de la volonté générale. […] Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. »

Le 10 octobre 1789, il dépose une motion auprès de l'Assemblée constituante, qui propose d'utiliser « les grands moyens » pour renflouer les caisses de l'État : la nationalisation des biens de l'Église. Selon lui :


« Le clergé n'est pas propriétaire à l'instar des autres propriétaires puisque les biens dont il jouit et dont il ne peut disposer ont été donnés non pour l'intérêt des personnes mais pour le service des fonctions. »


Défendu par Mirabeau, le projet est voté le 2 novembre. Fêté par Le Moniteur, couvert d'injures dans des pamphlets, « faisant l'horreur et le scandale de toute sa famille », Talleyrand devient pour une partie du clergé celui qui a trahi son ordre, son ancien poste de brillant Agent général le rendant d'autant plus détestable à ceux pour qui il est « l'apostat ». Le 28 janvier 1790, il propose d'accorder le statut de citoyen aux juifs, ce qui donne de nouveaux arguments aux pamphlétaires. Le 16 février, il est élu président de l'Assemblée avec 373 voix contre 125 à Sieyès, pour douze jours. Alors que la Constitution va être adoptée, Talleyrand et les royalistes constitutionnels sont alors à l'apogée de leur influence sur la Révolution.


Peinture représentant une foule entourant deux personnages au centre : à gauche un militaire à bicorne à plume tendant un papier et posant la pointe d'un poignard sur un petit autel sur lequel est posé une croix, à droite un prêtre en aube blanche à ceinture tricolore, qui dresse un fanion tricolore flottant au vent. Œuvre conservée au musée de la Révolution française.


Talleyrand propose à l'Assemblée constituante le 7 juin 1790 le principe d'une fête célébrant l'unité des Français, où les gardes nationaux serviraient de représentants : la fête de la Fédération, sur le Champ-de-Mars. Nommé à cet office par le roi, il célèbre la messe devant 300 000 personnes le 14 juillet 1790, même s'il est peu familier de l'exercice; montant sur l'estrade supportant l'autel, il aurait dit à La Fayette : « Par pitié, ne me faites pas rire ».


Le 28 décembre 1790, Talleyrand prête serment à la constitution civile du clergé, puis démissionne de sa charge épiscopale au milieu du mois de janvier 1791, sous le prétexte de son élection comme administrateur du département de Paris. Pourtant, comme les deux premiers évêques constitutionnels (Louis-Alexandre Expilly de La Poipe, évêque du Finistère, et Claude Marolles, évêque de l'Aisne) n'arrivent pas à trouver d'évêque pour les sacrer, Talleyrand est obligé de se dévouer. Il manœuvre deux évêques (les prélats in partibus de Lydda, Jean-Baptiste Gobel et de Babylone, Jean-Baptiste Miroudot du Bourg) pour l'assister : le sacre a lieu le 24 février 1791, suivi par quatorze autres, les nouveaux évêques étant parfois appelés « talleyrandistes ». Peu après, dans le bref Quod aliquantum du 10 mars 1791, puis Caritas du 13 avril 1791, le pape Pie VI exprime sa douleur devant cet acte schismatique et prend en compte la démission de Talleyrand de sa charge, le menaçant d'excommunication sous quarante jours s'il ne vient pas à résipiscence.


Durant l'année 1791, alors que meurt son ami Mirabeau, il dirige la rédaction d'un important rapport sur l'instruction publique, qu'il présente à l'assemblée constituante juste avant sa dissolution, les 10, 11 et 19 septembre et qui provoque la création de l'Institut de France.


Alors qu'il n'est plus député, du 24 janvier au 10 mars 1792, Talleyrand est envoyé en mission diplomatique à Londres, pour des achats de chevaux et afin de prendre la température sur une possible neutralité des Britanniques, tout en menant discrètement des négociations sur la rétrocession de Tobago. Il y retourne le 29 avril avec François Bernard Chauvelin. En dépit de l'atmosphère hostile, ils obtiennent la neutralité le 25 mai69. Talleyrand rentre à Paris le 5 juillet et, le 28, démissionne de son poste d'administrateur du département de Paris.


Exil

À la suite de la journée du 10 août 1792, anticipant la Terreur, il demande à être renvoyé à Londres. Le 7 septembre, il arrache un ordre de mission à Danton, en pleins massacres de Septembre, sous le prétexte de travailler à l'extension du système de poids et de mesures. Cela lui permet de prétendre qu'il n'a pas émigré : « Mon véritable but était de sortir de France, où il me paraissait inutile et même dangereux pour moi de rester, mais d'où je ne voulais sortir qu'avec un passeport régulier, de manière à ne m'en pas fermer les portes pour toujours ». Il part le 10 septembre.


Le 5 décembre, un décret d'accusation est porté contre le « ci-devant évêque d'Autun » après l'ouverture de l'armoire de fer qui révèle les liens entre lui, Mirabeau et la famille royale; se gardant bien de revenir en France, Talleyrand est porté sur la liste des émigrés à sa parution, par arrêté du 29 août 1793.


Affirmant être là pour vendre sa bibliothèque, il vit paisiblement à Kensington « pendant toute l'effroyable année 1793 », fréquente les constitutionnels émigrés, noue des relations avec des Anglais influents et souffre à la fois du manque d'argent et de la haine des premiers émigrés. Fin janvier 1794, on lui annonce que le roi George III ordonne son expulsion, en vertu de l'Aliens Act. Il part en mars 1794 et se réfugie aux États-Unis pendant deux ans, vivant à Philadelphie, New York et Boston. Là, muni de lettres de mission de banques européennes, il cherche à faire fortune, grâce à la spéculation sur les terrains, prospectant dans les forêts du Massachusetts. Il arme même un navire pour commercer avec l'Inde, mais pense surtout à revenir en France.


Juste après la Terreur, il adresse à la Convention thermidorienne, le 15 juin 1795, une pétition plaidant sa cause ; dans le même temps, Germaine de Staël, avec qui Talleyrand correspond, fait en sorte que Marie-Joseph Chénier réclame son retour à l'Assemblée. Par un discours du 4 septembre 1795, ce dernier obtient la levée du décret d'accusation à l'encontre de Talleyrand. Il est rayé de la liste des émigrés et, après avoir fait escale à Hambourg et Amsterdam, retrouve la France du jeune Directoire le 20 septembre 1796.


Ministre du Directoire

Peu après son arrivée, Talleyrand entre à l'Institut de France, où il a été élu le 14 décembre 1795 à l'Académie des sciences morales et politiques avant même son départ des États-Unis ; il publie deux essais sur la nouvelle situation internationale, fondés sur ses voyages hors de France. Il participe à la fondation du Cercle constitutionnel, républicain, en dépit de ses amitiés orléanistes et de l'hostilité des conventionnels, qui voient en lui un contre-révolutionnaire.


N'arrivant pas à se faire nommer ministre des Relations extérieures à la place de Charles Delacroix, envoyé comme ambassadeur auprès de la République batave, il fait jouer l'influence de plusieurs femmes, surtout son amie Germaine de Staël. Cette dernière fait le siège de Barras, le plus influent des directeurs, qu'elle supplie dans des scènes enflammées, finissant par obtenir son accord. Talleyrand préfère raconter dans ses mémoires qu'arrivant pour dîner chez Barras, il le découvre effondré par la noyade de son aide de camp et le console longuement, d'où la bienveillance du directeur à son égard. Dans le jeu des nominations du remaniement du 16 juillet 1797, qui intervient dans les prémices du coup d'État du 18 fructidor, Barras obtient l'accord des autres directeurs, qui sont pourtant hostiles à l'ancien évêque.


Lors de sa nomination, Talleyrand aurait dit à Benjamin Constant : « Nous tenons la place, il faut y faire une fortune immense, une immense fortune ». De fait, et dès cet instant, cet « homme d'infiniment d'esprit, qui manquait toujours d'argent » prend l'habitude de recevoir d'importantes sommes d'argent de l'ensemble des États étrangers avec lesquels il traite. Fin 1797, il provoque même un incident diplomatique en faisant demander des pots-de-vin à trois envoyés américains : c'est l'affaire XYZ qui provoque la « quasi-guerre ».

« M. de Talleyrand évaluait lui-même à soixante millions ce qu'il pouvait avoir reçu en tout des puissances grandes ou petites dans sa carrière diplomatique. »
Dès sa nomination, Talleyrand écrit à Napoléon Bonaparte :

« J'ai l'honneur de vous annoncer, général, que le Directoire exécutif m'a nommé ministre des Relations extérieures. Justement effrayé des fonctions dont je sens la périlleuse importance, j'ai besoin de me rassurer par le sentiment de ce que votre gloire doit apporter de moyens et de facilité dans les négociations. Le nom seul de Bonaparte est un auxiliaire qui doit tout aplanir. Je m'empresserai de vous faire parvenir toutes les vues que le Directoire me chargera de vous transmettre, et la renommée, qui est votre organe ordinaire, me ravira souvent le bonheur de lui apprendre la manière dont vous les aurez remplies. »

Séduit par le personnage, Bonaparte écrit au Directoire pour lui signifier que le choix de Talleyrand « fait honneur à son discernement ». Une importante correspondance suit ; dans celle-ci, Bonaparte exprime très tôt le besoin de renforcer l'exécutif. Il n'en fait qu'à sa tête en Italie : le traité de Campo-Formio est signé le 17 octobre 1797 et Talleyrand le félicite malgré tout. Le 6 décembre, les deux hommes se rencontrent pour la première fois, alors que Bonaparte revient couvert de gloire de la campagne d'Italie. Le 3 janvier 1798, Talleyrand donne une fête somptueuse en son honneur en l'hôtel de Galliffet, où est installé le ministère. Il incite Bonaparte à tenter l'expédition d'Égypte et favorise son départ, tout en refusant de s'y impliquer activement, ne se rendant pas comme convenu avec Bonaparte à Constantinople, et provoquant ainsi la colère du général.


Le Directoire, en particulier Jean-François Reubell qui déteste Talleyrand, traite lui-même les affaires importantes et l'utilise comme un exécutant. La politique de Talleyrand, qui va parfois à l'encontre même de celle des directeurs, a pour but de rassurer les États européens et d'obtenir l'équilibre et la paix. Aussi fait-il part de ses réserves sur la politique de « libération » des pays conquis : le 2 juillet 1799 (14 messidor an VII), il écrit à Lacuée, membre du Conseil des Cinq-Cents « que le système qui tend à porter la liberté à force ouverte chez les nations voisines, est le plus propre à la faire haïr et à empêcher son triomphe. » Il prend possession de l'administration des Affaires étrangères, qu'il garnit d'hommes travailleurs, efficaces, discrets et fidèles, même si c'est le Directoire qui choisit les ambassadeurs, sans même le consulter.


Il prend des contacts avec Sieyès et avec les généraux Joubert qui meurt peu après, Brune, puis Bonaparte lorsqu'il revient d'Égypte, dans l'optique du renversement du Directoire. Le 13 juillet 1799, prenant pour prétexte les attaques menées contre lui par la presse et par un obscur adjudant-général qui lui intente un procès et le gagne, il démissionne du ministère qu'il quitte le 20 juillet. Il se consacre à la préparation du coup d'État du 18 brumaire (9 novembre 1799) en conspirant contre le Directoire avec Bonaparte et Sieyès. Le jour dit, il est chargé de réclamer sa démission à Barras : il y parvient si bien qu'il conserve par-devers lui la compensation financière qui était destinée à ce dernier.


Période napoléonienne

Ministre du Consulat

Gravure en couleurs, représentant à gauche et au premier plan deux personnages en haut d'une fortification équipée de deux canons et sur laquelle flotte un drapeau rouge à tête de mort. L'un, petit et maigre, coiffé d'un bicorne à trois plumes tricolores, regarde à travers un rouleau de papier vers la droite, et prononce des paroles en anglais visibles dans une bulle. Il est jugé sur l'autre, personnage plus imposant, souriant, à cape rouge et bicorne. Au centre, sur la mer déchainée, coule au premier plan une dizaine de bateaux bombardés par une dizaine d'autres bateaux au second plan. À droite au loin, des falaises sur lesquelles flottent un drapeau anglais : blanc à croix de Saint-George rouge.


« La destruction des canonnières françaises » ou « le petit Boney et son ami Talley dans une grande joie », caricature britannique montrant Napoléon, assis sur l'épaule de « Talley », scrutant joyeusement (à travers un grand document roulé en longue-vue nommé « le plan de Talleyrand pour envahir la Grande-Bretagne ») la Manche, où la flotte française se fait détruire par les boulets des navires britanniques.


Après le coup d'État, il retrouve son rôle de ministre face aux cours européennes peu mécontentes de la fin du Directoire. Bonaparte et Talleyrand s'accordent sur le fait que les affaires étrangères relèvent du domaine exclusif du Premier Consul : le ministre ne rend compte qu'à Bonaparte. Pour François Furet, Talleyrand est « pendant presque huit ans […] le second rôle du régime».


Bonaparte accède aux vues de Talleyrand et écrit amicalement au roi de Grande-Bretagne, puis à l'empereur d'Autriche, qui refusent de façon prévisible les propositions de réconciliation, sans même accuser réception des lettres. Le tsar de Russie Paul Ier se montre plus favorable : un traité est négocié et signé. Cependant, Paul Ier est assassiné en 1801 par un groupe d’ex-officiers. Son fils Alexandre Ier lui succède.


Les traités de Mortefontaine du 30 septembre 1800 pour la pacification des relations avec les États-Unis, et de Lunéville du 9 février 1801 pour la paix avec l'Autriche vaincue à Marengo, ainsi que la paix d'Amiens du 25 mars 1802 avec le Royaume-Uni et l'Espagne, sont négociés principalement par Napoléon et Joseph Bonaparte : d'après Mme Grand, « le Premier Consul a tout fait, tout rédigé ». Même s'il désapprouve la méthode brutale de négociation, Talleyrand approuve la paix générale, dont les négociations lui permettent de surcroît de gagner beaucoup d'argent, grâce à des trucages et pots-de-vin divers. Il manœuvre les Italiens afin qu'ils élisent Bonaparte président de la République italienne. Il continue également de réformer l'administration des Affaires étrangères. Les espoirs du ministre sont cependant déçus :

Morceau de peinture représentant plusieurs personnages chamarrés, debout en grand habit, de profil et regardant vers la gauche. Parmi eux, au centre, un large personnage en cape rouge avec une grande médaille en forme d'étoile sur l'épaule, chapeau noir à plumes blanches, bas blancs et souliers noirs.


« La paix d'Amiens était à peine conclue, que la modération commença à abandonner Bonaparte ; cette paix n'avait pas encore reçu sa complète exécution, qu'il jetait déjà les semences de nouvelles guerres qui devaient après avoir accablé l'Europe et la France, le conduire lui-même à sa ruine. »


Il désapprouve ainsi l'annexion du Piémont, le rapprochement excessif entre les républiques française et cisalpine et l'hostilité envers la présence anglaise à Malte. Le Premier Consul annexe également l'Île d'Elbe et occupe la Suisse ; dès le 16 mai 1803, la rupture avec les Anglais est consommée.


En 1800, il achète le château de Valençay, encore sur injonction de Bonaparte et avec son aide financière. Le domaine s'étend sur environ 200 km, ce qui en fait l'une des plus grandes propriétés privées de l'époque. Talleyrand y séjourne régulièrement, en particulier avant et après ses cures thermales à Bourbon-l'Archambault.


En 1804, face à l'augmentation du nombre d'attentats perpétrés par des royalistes contre Bonaparte, Talleyrand joue un rôle d'instigateur ou de conseiller dans l'exécution du duc d'Enghien, rôle dont l'importance suscitera un débat durant la Restauration à la suite des accusations de Savary : selon Barras, Talleyrand conseille à Bonaparte de « mettre entre les Bourbons et lui un fleuve de sang » ; selon Chateaubriand, il « inspira le crime ». Le 21 mars, alors que l'arrestation du duc n'est pas encore connue, Talleyrand déclare à l'assistance, à deux heures du matin : « Le dernier Condé a cessé d'exister ». Dans ses mémoires, Bonaparte indique que « c'est Talleyrand qui a décidé à arrêter le duc d'Enghien », mais revendique l'exécution comme sa décision personnelle. À la Restauration, en 1814, Talleyrand fait disparaître tous les documents se rapportant à cette affaire ; il nie par la suite avoir pris part à cette exécution, dans une annexe de ses mémoires.


Ministre de l'Empire

Nommé grand chambellan le 11 juillet 1804, Talleyrand, qui a poussé Bonaparte à instituer l'hérédité du pouvoir, assiste le 2 décembre au sacre de Napoléon Ier. Il est également nommé grand cordon de la Légion d'honneur le 1er février 1805, dans la première promotion.


En 1805, commence la campagne d'Allemagne. Talleyrand suit l'empereur dans ses trajets à travers l'Europe. À son arrivée à Strasbourg, il assiste à une violente crise de ce dernier, qui pour Georges Lacour-Gayet s'apparente à une crise d'épilepsie. Au lendemain de la victoire d'Ulm, il envoie de Strasbourg un rapport à l'empereur sur la nécessaire modération à observer vis-à-vis de l'Autriche afin d'instaurer un équilibre entre les quatre (France, Royaume-Uni, Autriche, Russie — auxquels il ajoute la Prusse). Après l'éclatante victoire d'Austerlitz et l'écrasante défaite de Trafalgar, Talleyrand, qui a de nouveau plaidé en vain pour un rééquilibrage européen, signe à contrecœur le traité de Presbourg (26 décembre 1805), annonçant la création de la Confédération du Rhin et qu'il rédige sur ordre de l'empereur. Selon Metternich, il commence à envisager sa démission. Il essaie d'adoucir les conditions imposées à l'Autriche ; en accordant dix pour cent de rabais et des délais sur les sanctions financières, il mécontente Napoléon, qui le suspecte d'avoir été corrompu :


« L'Autriche, dans l'état de détresse où elle était réduite, ne pouvait que subir les conditions imposées par le vainqueur. Elles étaient dures, et le traité fait avec M. d'Haugwitz rendait pour moi impossible de les adoucir sur d'autres articles que celui des contributions. […] [Napoléon] m'écrivit à quelque temps de là : « Vous m'avez fait à Presbourg un traité qui me gêne beaucoup. »


À la suite de la révolution haïtienne, il intervient auprès des États-Unis afin de leur demander de cesser toute activité commerciale avec Haïti. Le 28 février 1806, les États-Unis décrètent un blocus contre le jeune État. En 1806, il reçoit le titre de « prince de Bénévent », État confisqué au Pape où il ne se rend pas une seule fois, se contentant d'envoyer un gouverneur. Le 12 juillet de la même année, il signe le traité créant la Confédération du Rhin, prolongeant la volonté de Napoléon par ses nombreuses négociations. Amorçant la critique de la politique guerrière de ce dernier sans oser le défier, il est toujours déçu dans ses conseils de modération, en particulier par la proclamation du blocus continental, le 21 novembre 1806. Étant en contact permanent avec l'Autriche dans l'espoir d'un rapprochement, il commence à communiquer des informations au tsar Alexandre Ier via son ami le duc de Dalberg. En 1807, après une série de victoires de Napoléon (Eylau, Dantzig, Heilsberg, Guttstadt, Friedland), il rédige et signe le traité de Tilsit, qui va à l'encontre de ses vues et de ses conseils à Napoléon : alliance offensive avec la Russie, affaiblissement de l'Autriche. Il se déclare « indigné » par le traitement réservé aux vaincus, en particulier la reine de Prusse, et mécontent d'être un « ministre des Relations extérieures sans emploi ». Il prend certainement à cette occasion la décision de démissionner de son poste de ministre à son retour de Varsovie, voire l'annonce dès cet instant à Napoléon. Cela ne l'empêche pas de favoriser le rapprochement entre ce dernier et Marie Walewska. Sa démission est effective le 10 août 1807. Le 14, il est nommé vice-grand-électeur de l'Empire.


Le double jeu

Talleyrand se détache peu à peu de l'empereur, mais reste cependant son conseiller. Alors qu'il avait initialement (et de manière intéressée) suggéré l'intervention en Espagne, il s'en désolidarise progressivement du fait de l'évolution de la situation européenne. Il fait savoir son opposition puis plus tard fait disparaître les lettres et affirme dans ses mémoires avoir toujours plaidé contre. De plus, l'empereur fait « tout le contraire » des suggestions de Talleyrand, qui plaide pour un rapprochement avec Ferdinand, prince populaire. Son désaccord sur la méthode se manifeste particulièrement dans les courriers qu'il envoie à l'empereur, qui se trouve à Bayonne. Ce dernier n'en tient pas compte et capture par la ruse les infants d'Espagne, procédé inexcusable pour Talleyrand. Il se voit confier leur garde, et les loge durant sept ans à Valençay, hospitalité qui se révèle agréable aux prisonniers.


En septembre 1808, Napoléon le charge de le seconder à l'entrevue d'Erfurt avec le tsar de Russie, sans ignorer que Talleyrand est hostile à l'alliance qu'il cherche, lui préférant la voie autrichienne. Pendant les discussions en marge des entrevues entre les deux empereurs, Talleyrand va jusqu'à déconseiller à Alexandre de s'allier avec Napoléon, en lui déclarant : « Sire, que venez-vous faire ici ? C'est à vous de sauver l'Europe, et vous n'y parviendrez qu'en tenant tête à Napoléon. Le peuple français est civilisé, son souverain ne l'est pas ; le souverain de la Russie est civilisé, son peuple ne l'est pas ; c'est donc au souverain de la Russie d'être l'allié du peuple français », puis « le Rhin, les Alpes, les Pyrénées sont la conquête de la France ; le reste est la conquête de l'Empereur ; la France n'y tient pas ». C'est la « trahison d'Erfurt », « fourberie » (pour Georges Lacour-Gayet) qu'il détaille longuement dans ses mémoires, affirmant avoir manœuvré l'un et l'autre empereur pour préserver l'équilibre européen (« à Erfurt, j'ai sauvé l'Europe d'un complet bouleversement ») et qui lui vaudra plus tard l'inimitié des bonapartistes. Pour l'heure, Napoléon, qui ignore le sabotage, est surpris du manque de réussite de ses discussions avec Alexandre, et l'alliance ne se fait pas, la convention étant devenue « insignifiante ». Selon André Castelot, « l'envoi à Erfurt de Talleyrand, en fourrier diplomatique, est assurément [de toutes les erreurs commises en 1808 par l'empereur] la faute qui pèsera le plus lourd sur l'avenir de l'Empire ».


Alors que l'on reste sans nouvelles de l'empereur depuis l'Espagne, où la guérilla fait rage, et que la rumeur de sa mort se répand, Talleyrand intrigue au grand jour avec Joseph Fouché pour offrir la régence à l'impératrice Joséphine, en cherchant le soutien de Joachim Murat. Le 17 janvier 1809, en Espagne, Napoléon apprend la conjuration et accourt à Paris, arrivant le 23. Le 27, durant trente minutes, il abreuve Talleyrand d'injures ordurières à l'issue d'un conseil restreint de circonstance :

« Vous êtes un voleur, un lâche, un homme sans foi ; vous ne croyez pas à Dieu ; vous avez, toute votre vie, manqué à tous vos devoirs, vous avez trompé, trahi tout le monde ; il n'y a pour vous rien de sacré ; vous vendriez votre père. Je vous ai comblé de biens et il n'y a rien dont vous ne soyez capable contre moi»

Il l'accuse notamment de l'avoir incité à faire arrêter le duc d'Enghien et à entamer l'expédition d'Espagne ; la phrase célèbre « vous êtes de la merde dans un bas de soie » n'est peut-être pas prononcée en cette circonstance. Il lui retire son poste de grand chambellan.


Talleyrand est convaincu d'être arrêté, mais reste impassible : il aurait dit à la sortie dudit conseil : « Quel dommage, Messieurs, qu'un aussi grand homme ait été si mal élevé ». Au contraire de Fouché qui joue profil bas, il se présente toujours à la cour et ce dès le lendemain de la fameuse scène, fait jouer les femmes auprès de Napoléon mais ne dissimule pas son opposition :

Portrait représentant, presque de face, le haut du corps d'un large personnage en habit rouge et cape rouge à large bord brodé d'or, col brodé d'or, cravate large et courte en dentelle. On distingue aussi le haut d'une ceinture blanche ; il est ceint d'une écharpe du même ton rouge que l'habit. Le visage, de trois quarts, est tout en contrastes, la partie la plus à droite disparaissant dans l'ombre. Le regard semble perdu légèrement derrière le spectateur, la couleur des cheveux est indistincte, tendant vers le gris. Le fond est uni, marron-noir.

« Napoléon avait eu la maladresse (et on en verra plus tard la conséquence) d'abreuver de dégoût ce personnage si délié, d'un esprit si brillant, d'un goût si exercé et si délicat, qui, d'ailleurs, en politique lui avait rendu autant de services pour le moins que j'avais pu lui en rendre moi-même dans les hautes affaires de l'État qui intéressaient la sûreté de sa personne. Mais Napoléon ne pouvait pardonner à Talleyrand d'avoir toujours parlé de la guerre d'Espagne avec une liberté désapprobatrice. Bientôt, les salons et les boudoirs de Paris devinrent le théâtre d'une guerre sourde entre les adhérents de Napoléon d'une part, Talleyrand et ses amis de l'autre, guerre dont l'épigramme et les bons mots étaient l'artillerie, et dans laquelle le dominateur de l'Europe était presque toujours battu. »

Menacé d'exil avec son comparse, voire dans sa vie, il n'est finalement pas inquiété, conserve ses autres postes et l'empereur le consulte toujours. Selon Jean Orieux, il est pour Napoléon « insupportable, indispensable et irremplaçable » : Talleyrand travaille à son divorce et à son remariage, en lui suggérant le « mariage autrichien », qu'il plaide pendant le conseil extraordinaire du 28 janvier 1810. Il est alors gêné financièrement, du fait de la perte de ses charges et du coût de l'hébergement des infants d'Espagne, que la dotation de Napoléon ne couvre pas complètement. La faillite de la banque Simons, dans laquelle il perd un million et demi, le met alors dans une position si délicate qu'il sollicite en vain un prêt au tsar. Il reçoit cependant toujours des pots-de-vin et en vient à vendre une nouvelle fois sa bibliothèque. En 1811, Napoléon finit par le sortir de ses ennuis financiers en lui achetant l'hôtel Matignon ; deux ans plus tard, Talleyrand déménage dans l'hôtel Saint-Florentin.


En 1812, dans le cadre de la préparation de la campagne de Russie, Napoléon pense emprisonner préventivement Fouché et Talleyrand, tout en envisageant d'envoyer ce dernier comme ambassadeur en Pologne. Talleyrand accueille la nouvelle de la retraite de Russie en déclarant : « c'est le commencement de la fin » ; il intensifie ses relations d'intrigue. En décembre 1812, Talleyrand incite sans succès Napoléon à négocier la paix et à accorder d'importantes concessions ; il refuse le poste de ministre des Relations extérieures que lui propose à nouveau l'empereur. Il écrit à Louis XVIII via son oncle, début d'une correspondance qui dure toute l'année 1813 ; la police impériale intercepte certaines lettres et l'empereur pense l'exiler et le poursuivre en justice. Pourtant Napoléon suit toujours ses conseils : en décembre 1813, il accepte sur ses instances le retour des Bourbons sur le trône d'Espagne, et lui propose de nouveau le poste de ministre des Relations extérieures, se voyant opposer un nouveau refus. Le 16 janvier 1814, Napoléon, durant une nouvelle scène, est sur le point de le faire arrêter; le 23 janvier, il le nomme pourtant au conseil de régence. Ils se voient pour la dernière fois le surlendemain, à la veille du départ de l'empereur pour une campagne militaire désespérée.


Le 28 mars 1814, alors que les Alliés menacent Paris, le conseil de régence décide l'évacuation de la cour, qui a lieu les deux jours suivants. Le 30 mars au soir, Talleyrand exécute une manœuvre habile pour rester, et en maître, à Paris : il fait en sorte qu'on l'empêche de passer la barrière de Passy puis, durant la nuit, négocie la capitulation du maréchal Marmont, qui dirige la défense de la ville. Le lendemain, 31 mars, Talleyrand dévoile son « 18 Brumaire à l'envers », alors que les Alliés entrent dans Paris : ce soir-là, le roi de Prusse et le tsar arrivent à son hôtel particulier, et ce dernier y loge. Il plaide auprès d'eux le retour des Bourbons en ces termes : « La République est une impossibilité ; la Régence, Bernadotte, sont une intrigue ; les Bourbons seuls sont un principe. » Il répond également à leurs doutes en proposant de consulter le Sénat :

« Le tsar acquiesça ; la Restauration était faite. »

Le 1er avril 1814, le Sénat conservateur élit Talleyrand à la tête d'un « gouvernement provisoire » qui fait dire à Chateaubriand qu'« il y plaça les partners de son whist ». Le lendemain, le Sénat déchoit l'empereur de son trône, ce dernier négociant encore avec les Alliés pour une abdication en faveur de son fils et une régence de Marie-Louise. Napoléon Bonaparte est finalement perdu par la défection de Marmont et abdique le 6 avril. Talleyrand fait saisir toute sa correspondance avec l'empereur.


Il applique immédiatement ses idées libérales et fait en sorte de rétablir une vie normale pour le pays :
« Il fait rendre les conscrits des dernières levées napoléoniennes à leur famille, libérer les prisonniers politiques et les otages, échanger les prisonniers de guerre, il rétablit la liberté de circulation des lettres, facilite le retour du Pape à Rome et celui des princes espagnols à Madrid, rattache les agents de la police générale de l'Empire, devenus odieux, à l'autorité des préfets. Il s'efforce surtout de rassurer tout le monde et maintient autant que faire se peut tous les fonctionnaires dans leur poste. Deux préfets seulement sont remplacés. »

Sa position est difficile, surtout à Paris : les Alliés occupent la ville, les royalistes et les bonapartistes ne reconnaissent pas le gouvernement provisoire. Il use d'expédients pour financer ce dernier.


Pendant les premiers jours d'avril, lui, son gouvernement et le Sénat rédigent à la va-vite une nouvelle constitution, qui consacre une monarchie parlementaire bicamérale, organise l'équilibre des pouvoirs, respecte les libertés publiques et déclare la continuité des engagements contractés sous l'Empire.


Le 12 avril, le comte d'Artois entre dans Paris et s'installe, en même temps que le gouvernement, aux Tuileries (à cette occasion, Talleyrand lui fait attribuer la déclaration selon laquelle il n'y a « qu'un Français de plus »). Le 14, le Sénat défère l'autorité formelle sur le gouvernement provisoire au comte d'Artois, qui accepte pour son frère « les bases » de la Constitution, mais avec certaines restrictions.


Après le traité de Fontainebleau du 11 avril, Talleyrand signe le 23 la convention d'armistice avec les Alliés, dont il juge les conditions « douloureuses et humiliantes » (la France revient aux frontières de 1792, renonce aux frontières naturelles et abandonne cinquante-trois places fortes), mais sans alternative, dans une France « épuisée d'hommes, d'argent et de ressources ».


Le gouvernement provisoire ne dure qu'un mois. Le 1er mai, Talleyrand rejoint Louis XVIII à Compiègne, où celui-ci lui fait faire antichambre plusieurs heures, puis lui déclare au cours d'un entretien glacial : « Je suis bien aise de vous voir ; nos maisons datent de la même époque. Mes ancêtres ont été les plus habiles ; si les vôtres l'avaient été plus que les miens, vous me diriez aujourd'hui : prenez une chaise, approchez-vous de moi, parlons de nos affaires ; aujourd'hui, c'est moi qui vous dis : asseyez-vous et causons. » Dans la même conversation, Louis XVIII lui aurait demandé comment il a pu voir la fin de tant de régimes, ce à quoi Talleyrand aurait répondu :

« Mon Dieu, Sire, je n'ai vraiment rien fait pour cela, c'est quelque chose d'inexplicable que j'ai en moi et qui porte malheur aux gouvernements qui me négligent. »

Ministre de la Première Restauration

Louis XVIII n'accepte pas la Constitution sénatoriale : il préfère accorder à ses sujets la Charte constitutionnelle qui reprend les idées libérales proposées mais rejette l'équilibre des pouvoirs, le roi en accordant aux deux chambres. Le 13 mai, Talleyrand, déçu dans son ambition de présider le ministère, est nommé ministre des Affaires étrangères.


Le 30 mai, il signe le traité de Paris qu'il a négocié : la paix entre la France et les Alliés, la fin de l'occupation, pas d'indemnités de guerre, le retour aux frontières de 1792 (plus quelques villes, une part de la Savoie et les anciens comtats pontificaux) et l'annonce du congrès de Vienne, dont les bases sont posées. Parmi les dispositions, la France, qui a conservé ses colonies (sauf l'île de France, Tobago et Sainte-Lucie), s'engage à abolir la traite négrière dans les cinq ans (reprenant ainsi la loi du 29 mars 1815 que Napoléon avait promulguée à son retour de l’île d’Elbe) et conserve les œuvres d'art pillées par Bonaparte.


Talleyrand est fait chevalier de l'ordre de la Toison d'or. La principauté de Bénévent est rendue au pape. Le roi le fait enfin « prince de Talleyrand » et pair de France.

Le 8 septembre, il défend le budget devant la chambre des pairs. Pour la première fois, comme en Angleterre, l'État se voit dans l'obligation de payer toutes les dettes qu'il contracte.

Le congrès de Vienne, par Jean-Baptiste Isabey (Talleyrand est le deuxième homme assis en partant de la droite).

Louis XVIII le charge logiquement de représenter la France au congrès de Vienne et approuve les « instructions » que Talleyrand a proposées. Le diplomate part avec quatre objectifs, les dispositions concernant la France ayant déjà été réglées par le Traité de Paris :
  • - prévenir les vues de l'Autriche sur la Sardaigne ;
  • - faire en sorte que Naples revienne à Ferdinand IV de Bourbon ;
  • - défendre la Pologne face à la Russie ;
  • - empêcher la Prusse de mettre la main sur la Saxe et la Rhénanie.

Le 16 septembre 1814 débutent les tractations informelles du congrès de Vienne. Talleyrand, qui y est assisté par le duc de Dalberg, le marquis de la Tour du Pin et le comte de Noailles, y arrive le 23 septembre, l'ouverture étant prévue pour le 1er octobre. Tenu à l'écart des principales réunions qui ont lieu entre les quatre pays (Royaume-Uni, Autriche, Prusse, Russie) qui ont déjà approuvé un protocole le 22 septembre, il est cependant invité à une discussion le 30 septembre où Metternich et Hardenberg emploient les mots « puissances alliées ». Il réagit alors :

« Alliées…, dis-je, et contre qui ? Ce n'est plus contre Napoléon : il est à l'île d'Elbe… ; ce ne n'est plus contre la France : la paix est faite… ; ce n'est sûrement pas contre le roi de France : il est garant de la durée de cette paix. Messieurs, parlons franchement, s'il y a encore des puissances alliées, je suis de trop ici. […] Et cependant, si je n'étais pas ici, je vous manquerais essentiellement. Messieurs, je suis peut-être le seul qui ne demande rien. De grands égards, c'est là tout ce que je veux pour la France. Elle est assez grande par ses ressources, par son étendue, par le nombre et l'esprit de ses habitants, par la contiguïté de ses provinces, par l'unité de son administration, par les défenses dont la nature et l'art ont garanti ses frontières. Je ne veux rien, je vous le répète ; et je vous apporte immensément. La présence d'un ministre de Louis XVIII consacre ici le principe sur lequel repose tout l'ordre social. […] Si, comme déjà on le répand, quelques puissances privilégiées voulaient exercer sur le congrès un pouvoir dictatorial, je dois dire que, me renfermant dans les termes du traité de Paris, je ne pourrais consentir à reconnaître dans cette réunion aucun pouvoir suprême dans les questions qui sont de la compétence du congrès, et que je ne m'occuperais d'une proposition qui viendrait de sa part. »

Talleyrand provoque la colère des quatre (Metternich déclare : « nous aurions mieux fait de traiter nos affaires entre nous ! »). Le 3 octobre, il menace de ne plus assister à aucune conférence, se pose en défenseur des petites nations qui assistent à partir de ce moment aux délibérations et exploite les divisions qui se font jour entre les quatre. Appuyé par le Royaume-Uni et l'Espagne, il obtient ainsi que les procès-verbaux des précédentes réunions soient annulés. Le congrès s'ouvre finalement le 1er novembre. Pour Jean Orieux, aucun sujet important n'est abordé dans les réunions officielles (tout se passe dans les salons) ; les petites nations se lassent et finissent par ne plus y assister. Talleyrand reste alors que les véritables délibérations commencent (il intègre le comité des grandes puissances le 8 janvier) : « C'est ainsi que le comité des Quatre devint le comité des Cinq ».


Il s'allie à l'Autriche et au Royaume-Uni : un traité secret est signé le 3 janvier 1815, ce qui lui permet d'écrire, triomphant, à Louis XVIII : « Maintenant, Sire, la coalition est dissoute, et elle l'est pour toujours. La France n'est plus isolée en Europe » Par là, il s'oppose à la Prusse et à la Russie : la première n'obtient qu'un morceau de la Saxe et la seconde qu'une partie de la Pologne, qu'elles se partagent. En effet, Talleyrand est partisan d'une Allemagne fédérale qui soit le centre d'équilibre entre les différentes puissances, en particulier la Prusse et l'Autriche. La Prusse et la France se retrouvent avec une frontière en commun, ce qui lui est reproché par une partie des biographes comme la source des guerres franco-allemandes futures ; il est défendu par d'autres. Talleyrand signe l'acte final du congrès le 9 juin 1815.


En échange de la restitution de la principauté de Bénévent, Talleyrand obtient également une compensation financière et le titre de duc de Dino (du roi rétabli Ferdinand des Deux-Siciles), qu'il transmet à son neveu, et par là à sa nièce Dorothée, qui a brillé durant le congrès.


Président du Conseil de la Seconde Restauration

Portrait tout en contrastes d'un homme debout dans l'ombre, visible depuis la taille. Tout le tableau est sombre, marron et noir, excepté le visage. On distingue cependant un manteau noir et une main posée sur le bras d'un fauteuil marron. Le visage, figé, surmonte un col en V qui laisse voire une chemise blanche. Le regard est dur, les cheveux mi-long, bouclés et blancs.


Au terme du Congrès, la France conserve ses conquêtes de 1792, mais Napoléon Ier revient de l'île d'Elbe, porté en triomphe par les Français, ce qui ruine l'opinion des Alliés à leur sujet et les amène à s’interroger sur les intentions de Talleyrand. Lord Castlereagh écrit à Lord Clancarty, désormais chef de la délégation britannique : « Je partage votre avis : on ne peut compter sur Talleyrand. Cependant, je ne sais à qui sa Majesté peut davantage se fier. La vérité est que la France est un repaire de voleurs et de brigands et que seuls peuvent les gouverner des criminels de leur espèce. » Talleyrand est approché par Montrond, plaidant la cause de Napoléon (pour Lacour-Gayet) ou du duc d'Orléans (pour Emmanuel de Waresquiel) ; dans tous les cas, il refuse, bien qu'il soit en très mauvais termes avec Louis XVIII, désormais en exil. Attendant la défaite de Napoléon (« c'est une question de semaines, il sera vite usé »), il tarde cependant à rejoindre le roi à Gand.


Après la bataille de Waterloo, le 23 juin, il arrive à Mons où se trouve le roi. D'après Emmanuel de Waresquiel, Talleyrand presse le roi, au cours d'une réunion orageuse, de renvoyer son conseiller Blacas, d'accepter une constitution plus libérale et de se distinguer des Alliés, mais n'obtient que le départ de Blacas ; d'après Georges Lacour-Gayet, il refuse de se rendre chez le roi, Chateaubriand jouant les intermédiaires. Prenant de court Talleyrand qu'il disgracie (de colère, ce dernier en perd son calme habituel), Louis XVIII rejoint les bagages de l'armée alliée et rédige une proclamation réactionnaire. Cette tendance provoque l'inquiétude des Britanniques qui contraignent le roi à rappeler Talleyrand à la tête du conseil des ministres. À l'issue de la séance du 27 juin, marquée par des affrontements verbaux, le ministre l'emporte sur le comte d'Artois et le duc de Berry (chefs du parti ultra) et une proclamation libérale est adoptée.


Fouché, président du gouvernement provisoire, tient Paris, appuyé par les républicains. Pour Georges Lacour-Gayet et Franz Blei, Talleyrand convainc Louis XVIII de nommer Fouché (qui a voté la mort de son frère) ministre de la Police. D'après les Mémoires de Talleyrand et pour Emmanuel de Waresquiel, les réticences de Louis XVIII cèdent le pas à la nécessité politique, et c'est Talleyrand qui ne souhaite pas s'encombrer d'un homme comme Fouché. Dans tous les cas, Talleyrand négocie avec Fouché qui livre Paris au roi, et il organise une rencontre. Dans un passage fameux de ses mémoires, Chateaubriand raconte la scène :

"Ensuite, je me rendis chez Sa Majesté : introduit dans une des chambres qui précédaient celle du roi, je ne trouvai personne ; je m'assis dans un coin et j'attendis. Tout à coup une porte s'ouvre : entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand marchant soutenu par M. Fouché ; la vision infernale passe lentement devant moi, pénètre dans le cabinet du roi et disparaît. Fouché venait jurer foi et hommage à son seigneur ; le féal régicide, à genoux, mit les mains qui firent tomber la tête de Louis XVI entre les mains du frère du roi martyr ; l'évêque apostat fut caution du serment."

Talleyrand conserve son poste, et, le lendemain de l'arrivée du roi aux Tuileries, le 9 juillet 1815, il est nommé de surcroît président du Conseil des ministres, malgré l'opposition des ultras. Il réussit à constituer, contrairement à 1814, un gouvernement qu'il dirige et sera solidaire de la politique libérale choisie. Il entame une révision de la Charte par une ordonnance du 13 juillet pour organiser le partage du pouvoir entre le roi et les chambres (la chambre des pairs devenant héréditaire, Talleyrand composant la liste des pairs), une libéralisation des élections (baisse du cens, de l'âge minimal), une libéralisation de la presse, etc.


Le gouvernement tente aussi en vain d'empêcher les armées alliées, qui occupent toujours le pays, de reprendre les œuvres d'art pillées dans toute l'Europe par Napoléon. Il essaie de renvoyer ces armées hors du royaume ; les souverains européens exigent des conditions exorbitantes pour signer la paix, que Talleyrand parvient à diminuer en abaissant par exemple les réparations de 100 à 8 millions de francs. La France perd cependant ses conquêtes de 1792.


Talleyrand entre en conflit avec Fouché (qui a besoin de donner des gages aux royalistes) sur les débuts de la Terreur blanche dans le Midi (Talleyrand est contraint de rétablir la censure) et sur les listes de bonapartistes (Ney, Huchet de la Bédoyère, etc.) à juger. Le ministre de la Police paie de son poste cette divergence de vues, ce qui réjouit le roi et les ultras. Cela ne suffit pas : après les élections qui amènent la « Chambre introuvable », remportée par ces derniers, Talleyrand présente le 19 septembre sa démission afin d'obtenir un refus et le soutien du roi. Ce dernier, sous la pression des ultras et du tsar Alexandre (qui reproche à Talleyrand de s'être opposé à lui à Vienne), l'accepte le 23 septembre et change de ministère, appelant un gouvernement mené par le duc de Richelieu.


Dans l'opposition libérale

Talleyrand est nommé grand chambellan de France le 28 septembre 1815. Pour la première fois depuis son retour des États-Unis, il n'est pas au pouvoir, se répandant contre son successeur, le duc de Richelieu (qui pourtant fait en sorte que les titres de Talleyrand, qui n'a pas de fils légitime, soient transmissibles à son frère), certain d'être rappelé au pouvoir. Au printemps 1816, il se retire à Valençay, où il n'avait pas été depuis huit ans, puis revient un temps à Paris à l'annonce de la dissolution de la Chambre introuvable. Le 18 novembre 1816, sa critique d'Élie Decazes, ministre de la Police, exaspère le roi (il le traite de « maquereau ») : il est interdit de se présenter à la cour, disgrâce qui dure jusqu'au 28 février 1817. Son opposition au gouvernement entraîne même une approche des ultras, opposés à Richelieu et Decazes qui poursuivent en partie la politique libérale de Talleyrand. En 1818, il a une occasion de revenir au pouvoir, mais le roi, qui ne l'« aime ni ne l'estime », lui préfère Jean Dessolle, puis Decazes, puis à nouveau Richelieu en 1820. Il est désormais convaincu que le roi ne veut plus de lui.


Alors que les ultras sont de plus en plus influents, Talleyrand, désormais proche des doctrinaires, en particulier de Pierre-Paul Royer-Collard qu'il a pour voisin à Valençay, se place pour le reste de la Restauration dans l'opposition libérale : il prononce le 24 juillet 1821, puis en février 1822 des discours à la Chambre des pairs pour défendre la liberté de la presse, puis le 3 février 1823 contre l'expédition d'Espagne, voulue par Chateaubriand. Il est alors d'autant plus détesté par les ultras que son rôle dans l'assassinat du duc d'Enghien est révélé par Savary, qui est alors exilé par Louis XVIII, lequel souhaite protéger l'honneur de son grand chambellan.


En septembre 1824, alors que le poids de ses 70 ans se fait sentir, son poste fait qu'il assiste longuement à l'agonie de Louis XVIII, puis à son enterrement et au sacre de son successeur. L'avènement de Charles X, chef du parti ultra, lui enlève ses derniers espoirs de retour au pouvoir. Durant une cérémonie, le 20 janvier 1827 à l'église Saint-Denis un nommé Maubreuil l'agresse et le frappe à plusieurs reprises. Il se rapproche du duc d'Orléans et de sa sœur, Madame Adélaïde. En quelques années, le jeune journaliste Adolphe Thiers a su devenir un familier : Talleyrand l'aide à monter son journal, Le National, d'orientation libérale et offensive contre le pouvoir. Le National se retrouve au cœur de la contestation des Ordonnances de Juillet qui provoque les Trois Glorieuses et la chute de Charles X. Il profite par la même occasion des conseils du banquier Gabriel-Julien Ouvrard, sur une baisse de la bourse de Paris à l'occasion de ces événements.


Monarchie de Juillet

En juillet 1830, alors que l'incertitude règne, Talleyrand expédie le 29 juillet un billet à Adélaïde d'Orléans pour son frère Louis-Philippe, lui conseillant de se rendre à Paris :

« Ce billet qui amena sur les lèvres de Madame Adélaïde une exclamation soudaine : « Ah ! ce bon prince, j'étais bien sûre qu'il ne nous oublierait pas ! » dut contribuer à fixer les indécisions du futur roi. Puisque M. de Talleyrand se prononçait, Louis-Philippe pouvait se risquer. »

Louis-Philippe revient à Paris le lendemain, se rend pour entretien chez Talleyrand et prend son parti. Celui-ci l'aide par l'entremise d'Adolphe Thiers. Devenu roi, Louis-Philippe, après avoir souhaité faire de Talleyrand son ministre des Affaires étrangères, le nomme rapidement à sa demande ambassadeur extraordinaire à Londres, afin de garantir la neutralité du Royaume-Uni vis-à-vis du nouveau régime. La décision est critiquée à Paris, mais approuvée à Londres, où Wellington et Aberdeen sont ses amis depuis longtemps. Il est accueilli de manière grandiose le 24 septembre et reçoit le logis de William Pitt ; sa nomination rassure les cours d'Europe, effrayées par cette nouvelle révolution française, alors qu'éclate la révolution belge. Lui-même explique être à l’époque « animé de l’espoir, du désir surtout, d’établir cette alliance de la France et de l’Angleterre, que j’ai toujours considérée comme la garantie la plus solide du bonheur des deux nations et de la paix du monde. »


Talleyrand s'oppose au ministre Louis-Mathieu Molé : les deux hommes essayent de mener une politique sans tenir compte l'un de l'autre, le ministre menaçant de démissionner. Talleyrand prône par exemple contre Molé l'évacuation de l'Algérie, que souhaitent les Britanniques ; Louis-Philippe choisit de s'y maintenir. Molé est cependant remplacé par Horace Sébastiani, qui ne gêne pas Talleyrand.


Talleyrand argumente auprès des Britanniques pour un concept qu'il forge de « non-intervention » en Belgique, alors que l'armée hollandaise est repoussée. Des conférences entre les cinq grands s'ouvrent le 4 novembre 1830297. Après avoir refusé l'idée d'une partition de la Belgique, puis avoir envisagé un temps une telle idée, il plaide pour la création d'un État fédéré neutre sur le modèle de la Suisse : il signe les protocoles de juin 1831, puis le traité du 15 novembre 1831, qui officialisent celle-ci. Il va jusqu'à passer sur ses instructions en acceptant, et même en négociant, la préservation des frontières du pays et le choix de Léopold de Saxe-Cobourg comme souverain du nouveau pays neutre. Il approuve la décision du nouveau Premier ministre, Casimir Perier, de soutenir militairement cette neutralité, menacée par les Pays-Bas. Le nouveau pays fait démanteler les forteresses sises à la frontière française.


Talleyrand travaille sur le projet qui lui tient à cœur depuis longtemps : le rapprochement du Royaume-Uni et de la France, base de l'Entente cordiale. Les deux pays interviennent conjointement pour obliger le roi des Pays-Bas à respecter la nouvelle indépendance de la Belgique. Il reçoit régulièrement Alphonse de Lamartine et entretient de bons rapports avec son ami Wellington et l'ensemble du cabinet. Son nom est applaudi au Parlement britannique, son raffinement et son habileté deviennent fameux à Londres ; il reçoit fréquemment Prosper Mérimée. L'opposition anglaise accuse même le gouvernement d'être trop influencé par lui, le marquis de Londonderry déclarant à la tribune : « Je vois la France nous dominant tous, grâce à l'habile politique qui la représente ici, et je crains qu'elle n'ait dans ses mains le pouvoir de décision et qu'elle n'exerce ce que j'appellerai une influence dominante sur les affaires européennes. »


Pendant ce temps, en France, si Talleyrand bénéficie d'une estime importante parmi les élites politiques et auprès du roi (ce dernier le consulte sans cesse, lui propose le poste de Premier ministre, proposition qu'il esquive306), sa réputation est au plus bas : « Le prince a évité à la France le démembrement, on lui doit des couronnes, on lui jette de la boue ». C'est en effet à cette époque que s'exacerbe la haine généralisée des partis à son encontre. Il devient le « diable boiteux », celui qui a trahi tout le monde.

« On l'appelait « Protée au pied boiteux », « Satan des Tuileries », « République, empereur, roi : il a tout vendu », lisait-on dans ce poème à la mode du jour, écrit avec une plume arrachée à l'aigle de l'ange exterminateur, intitulé Némésis (« la Vengeance »). Son seul mérite fut de provoquer une admirable réponse de Lamartine. »

Talleyrand reste en poste jusqu'en 1834 et la conclusion du traité de la Quadruple-Alliance, signé le 22 avril. Fatigué des difficultés de négociation avec Lord Palmerston, il quitte son poste, après avoir signé une convention additionnelle au traité le 18 août. Il arrive le 22 à Paris ; on parle de compléter les alliances en l'envoyant à Vienne. Il renonce à la présidence du conseil, qui est confiée à Thiers (Talleyrand participe à la formation du gouvernement), puis à la scène publique.


Retraite et mort

Talleyrand se retire dans son château de Valençay. Il a déjà été nommé maire de cette commune de 1826 à 1831, puis conseiller général de l'Indre, jusqu'en 1836. Il conseille toujours Louis-Philippe, en particulier en 1836 sur la neutralité à adopter dans le problème de la succession espagnole, contre l'avis de Thiers, qui y perd son poste.


Son activité politique décroît cependant. Il reçoit, outre de nombreuses personnalités politiques, Alfred de Musset et George Sand (cette dernière le remerciant par un article injurieux qu'elle regrette dans ses mémoires), Honoré de Balzac et met la dernière main à ses mémoires. En 1837, il quitte Valençay et retourne s'installer dans son hôtel Saint-Florentin à Paris.


À l'approche de la mort, il doit négocier un retour à la religion pour éviter à sa famille le scandale d'un refus de sacrements et de sépulture comme dut le subir Sieyès. Après un discours d'adieu à l'Institut le 3 mars, ses proches confient à l'abbé Dupanloup le soin de le convaincre de signer sa rétractation et de négocier le contenu de celle-ci. Talleyrand, qui joue une fois de plus sur le temps, ne signe que le jour de sa mort, ce qui lui permet de recevoir l'extrême-onction. Au moment où le prêtre doit, conformément au rite, oindre ses mains avec l'huile des infirmes, il déclare : « N'oubliez pas que je suis évêque », reconnaissant ainsi sa réintégration dans l'Église. L'événement, suivi par le tout-Paris, fait dire à Ernest Renan qu'il réussit « à tromper le monde et le Ciel ».


Lorsqu'il apprend que Talleyrand est à l'agonie, le roi Louis-Philippe décide, contrairement à l'étiquette, de lui rendre visite. « Sire, murmure le mourant, c'est un grand honneur que le roi fait à ma Maison. » Il meurt le 17 mai 1838, à 15 h ou 15 h 30, selon les sources, après avoir nommé Adolphe Fourier de Bacourt son exécuteur testamentaire.


Des funérailles officielles et religieuses sont célébrées le 22 mai. L'inhumation provisoire (qui dure trois mois) de Talleyrand a lieu le 22 mai dans le caveau de l'église Notre-Dame de l'Assomption (Paris 1er), sa sépulture à Valençay n'étant pas terminée. Embaumé à l'égyptienne, son corps est placé dans la crypte qu'il a fait creuser sous la chapelle de la maison de charité qu'il a fondée en 1820 à Valençay, où il est ramené de Paris le 5 septembre ; ce lieu devient la sépulture de ses héritiers et le reste jusqu'en 1952.


Sarcophage de Talleyrand.

Jusqu'en 1990, une vitre laisse voir son visage momifié. La plaque de marbre qui recouvre une face du sarcophage de marbre noir placé dans un enfeu porte :
« Ici repose le corps de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, prince duc de Talleyrand, duc de Dino, né à Paris le 2 février 1754, mort dans la même ville le 17 mai 1838. »

En 2004, le sarcophage est remonté de la crypte pour être exposé dans le chœur de la chapelle.

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